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LA FRANC-MAÇONNERIE ET LA CONSTRUCTION DU MONDE<o:p></o:p>
de Jules Romains (1885-1972)<o:p></o:p>
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<o:p> </o:p>« Tous les rites de la maçonnerie, eux, tournent autour de l’idée de construction. Tous les détails de costume et de cérémonie, toutes les particularités de langage, les formules employées, les noms de grades, la décoration des salles, ... tout cela forme une espèce de drame religieux, au sens où l’entendaient les anciens, et c’est le drame de la construction.<o:p></o:p>
Si vous tâchez de regarder d’un oeil frais le mouvement de l’humanité depuis deux, trois ou même quatre siècles, est-ce que vous n’êtes pas frappé de ce qu’il a tout de même de nouveau ? ... Il a fait partie d’un travail mené continuellement pendant des siècles, et partout... Si on réussissait à voir de très haut ce mouvement d’ensemble depuis la fin du Moyen Âge... on verrait tant de faits, isolément étranges ou merveilleux. .. des serfs de la glèbe qui deviennent des hommes libres... des hérétiques qu’on cesse de brûler... des nobles qui abandonnent leurs privilèges... des hommes blancs qui se battent pour que des esclaves noirs soient arrachés à l’ignominie. .. des riches qui s’interrogent sur leurs droits, et s’excusent de leur richesse... de grands empires militaires qui proclament la nécessité de la paix et de l’union entre les peuples...<o:p></o:p>
Si vous sentez cela, vous sentez ce que les maçons appellent la construction du Temple. Je ne vous dis pas que tout le travail déjà fait par l’humanité dans ce sens, ce soient les maçons qui l’aient fait. Non. Mais ils n’en ont jamais été absents. Et c’est bien eux qui, dans la foule des travailleurs, sans cela trop éparse, trop facilement découragée, ont apporté le plan, la ténacité, la cohésion fraternelle. Depuis des temps déjà lointains.<o:p></o:p>
J’ai étudié les origines... Elles plongent dans le Moyen Âge, pas dans celui des ascètes tourmentés... Mais dans celui des compagnons et des maîtres qui bâtissaient des cathédrales. C’est pendant qu’ils édifiaient des monuments dédiés à la religion du sacrifice, à la religion de la fin du monde, que, parce une espèce de revanche de l’esprit constructif, ils ont formé entre eux les premières équipes secrètes dont l’Ordre, plus tard, devait sortir, l’Ordre qui allait se donner pour tâche la construction du monde.<o:p></o:p>
Le Grand Oeuvre, ... la construction du Temple... le Grand Oeuvre que la maçonnerie poursuit depuis des siècles, c’est l’unification totale de l’humanité... Totale... Dans tous les sens et sur tous les plans. Même sur le plan mystique.<o:p></o:p>
Étant donné son but final, la maçonnerie ne peut attacher aucune valeur durable aux frontières, aux patries, aux nations ; ... elle est même portée à considérer comme un recul provisoire le développement du sentiment patriotique qui s’est fait dans tous les peuples depuis un peu plus d’un siècle, et le réveil des nationalités qui en a été la conséquence.<o:p></o:p>
Le Grand Oeuvre suppose l’effacement progressif de l’injustice à l’intérieur de la société ; et de même l’effacement des frontières nationales. Mais ça, c’est lointain... très lointain... L’essentiel, c’est qu’on s’en rapproche. Or on fait un pas chaque jour.<o:p></o:p>
L’unité en question va plus loin que l’organisation politique, matérielle, et même rationnelle du genre humain... elle la dépasse, la transcende.. . Nous parlions tout à l’heure des rites maçonniques.. . ils ne se contentent pas de représenter symboliquement la construction du Temple. On peut y voir une sorte de technique de l’unité mystique... Oui, un exercice de communion... qui a des vertus d’apprentissage, mais aussi des vertus de rayonnement, des vertus formatrices. Nous croyons à une contagion de l’unité. »<o:p></o:p>
(Extraits tirés de : Jules ROMAINS, Des hommes de bonne volonté, tome 1, Paris, éditions Flammarion, 1958.<o:p></o:p>
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Tu pensais que pour vivre et mener son destin
Il fallait tout combattre, et dès le grand matin
Sarmer contre les autres pour faire son chemin
Ecarter sans férir les obstacles têtus
Afin de réussir, à être toujours vêtus
A être toujours pourvu de tout le nécessaire
Grimper toujours plus haut, sagiter dans le faire
Chercher dans lapparence de quoi se satisfaire
Et regarder de haut les autres se défaire
Et puis un jour, hasard, regarder le miroir
Dun regard pénétrant ; un jour enfin se voir
Chargé dobscurités, cherchant pourquoi, ce pas !
Vers un chemin nouveau pourtant vide dappâts
Perdu dans ce grand vide creusé par nous même
Nous voilà sans repère, étonné, presque blême
Davoir perdu ce temps, oublieux, gaspilleur
Davoir cherché le rien conduisant au malheur
Possédant, possédé, vivant dans la surface
Accordant attention à ce semblant despace.
Et puis ce long silence comme une traversée
Et puis ce bel envol véritable percée
Trouant la nuit stérile dune vie enfermée
Cette porte entrouverte à nos pas malhabiles
Alourdis des métaux et de pensées fragiles
Etourdi dêtre neuf, un instant recréé
Un nouvel univers dont on sent la montée
Donne à la pensée une nouvelle piste
Au centre de laquelle en véritable artiste
Nous devons travailler, prudemment, ardemment
A nous construire nous- mêmes, cherchant précisément
Loutil le plus propice, à cette uvre incessante.
Nous ne sommes plus seul pour cette tâche urgente
Une main prend la notre et dans nous, ce qui pense
Se tourne enfin vers lautre, dont le regard sanime
Sur le même chemin. Sur ce chemin destime
Qui séclaire lentement au prix des espérances.
Dans le jour déclaré dun Orient immense
La lumière nous espère, nous espérons en elle
La rejoindre est le but, en y restant fidèle
Nos infidèles yeux sont enfin décillés
Mais il faut prendre garde à ne pas oublier
Qua chaque instant qui passe, notre âme sera traîtresse
A laffût des instincts, de nos viles faiblesses.
Sous le ciel étoilé quelque chose palpite !
Quelque chose de grand, quil faut que lon médite
Linfini souvre enfin à notre espoir fidèle
Attacher à créer en nos cur un modèle
Ecartant de nos voies les roides certitudes
Eloignant de nos pas les vaines habitudes
La tête enfin dressée vers le tout, ciel immense
Nous devinons derrière les nuées qui savancent
Une raison de plus de poursuivre nos pas
De penser que lavoir ne nous regarde pas
Que cest lêtre qui compte et qui doit tout donner
Pour quil puisse renaître sans tout abandonner
Lautre me reconnaît, cest par lui que jexiste
Le moi est haïssable, si longtemps il persiste
Mon frère regardons nous en paix et en confiance
Faisons des trois lumières une intime alliance
Quen nos curs apaisés, éclairés sans défiance
Naisse un lieu où la paix, la sagesse se fiancent
Que lamour enfin couronne cet édifice
Que lamour ne soit jamais un vain artifice
Quil rayonne de nous, quelques soient nos douleurs
Et quavec tous nos Frères nous soyons cur à cur.
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Je sais que tous les hommes sont capables du pire
Capables de perdre un jour le meilleur point de mire
Quil y a dans la vie de tout être ici bas
De dures heures sombres où il perd ses combatsJe sais en parcourant le pavé mosaïque
Les pas traversiers et les regards obliques
Les métaux oubliés dans les poches restantes
Et les rancunes au cur, tenaces et persistantesA nos curs oublieux, les serments un jour faits
Sévaporent lentement au profit des méfaits
Que les désirs pugnaces emportent dans leur plis
Les bonnes volontés désormais en replisJe sais aussi que lhomme est capable du mieux
Sans même recevoir un long appel des cieux
Pour peu que son regard sattarde sur lui-même
Et quil mesure en lui tout lobscur et le blêmeQuil peut par volonté vaincre ses turpitudes
Travailler à changer ses lourdes habitudes
Trouver dans cet effort une raison de vivre
Déclairer un chemin de trouver dautres rivesDestimer quune route peut changer dhorizon
Et que pour la construire bien plus que sa raison
Il a en lui, fidèle cet élan mystérieux
Qui fait quil se sent plus que ce corps laborieuxConstructeur de lui-même, à chaque jour qui passe
Il travaille en hauteur se donnant plus despace
Ses outils laccompagnent et penché humblement
Il ouvre ce chantier interminablementOn le dit initié, ses Frères le prétendent
Car il nest jamais seul en ce lieu ou sétendent
Encore dautres chantiers tout aussi précieux
Auxquels il participe toujours de son mieuxIl pourra certain soir en regardant sa pierre
Voir surgir tout autour une ardente lumière
Son regard apaisé saisira tout un monde
Harmonieux, serein et que lespoir inonde.
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BOOZ
Booz s'était couché de fatigue accablé
Il avait tout le jour travaillé dans son aire,
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge,
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin,
Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge.Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril.
Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse :
Laissez tomber exprès des épis, disait-il.Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.Booz était bon maître et fidèle parent ;
Il était généreux, quoiqu'il fût économe ;
Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'il du vieillard on voit de la lumière.Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens ;
Près des meules, qu'on eût prises pour des décombres.
Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres
Et ceci se passait dans des temps très anciens.Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge ;
La terre, où l'homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géant qu'il voyait,
Était encor mouillée et molle du déluge.Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée.
Or, la porte du ciel s'étant entrebâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.Et Booz murmurait avec la voix de l'âme :
« Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n'ai pas de fils, et je n'ai plus de femme.« Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi,
O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l'un à l'autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.« Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants,
Le jour sort de la nuit comme d'une victoire ;« Mais, vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau.
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,
Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
Comme un buf ayant soif penche son front vers l'eau. »Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase,
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.Booz ne savait point qu'une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle,
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.La respiration de Booz qui dormait,
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant les lys sur leur sommet.Ruth songeait et Booz dormait, l'herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,Immobile, ouvrant l'il à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.
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La Chaine dUnion
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Muettes au creux des mains sont lignes de vie,
Lavenir de lautre dessiné sur ma peau,
Tracées au compas, arrangées, agrandies,
Comme un galet poli fait des cercles dans leau.<o:p></o:p>Légers comme un soupir au dessus des désert,
On grave quelques signes au cur de chaque pierre,
Des rêves inconnus, des mots silencieux
Qui éveillent en nous un devenir trop vieux.<o:p></o:p>Les visages cachés au fond des yeux présents,
Sont espoirs, des signes, des larmes, des doutes ;
Tous ces êtres en un seul sur le bord de la route
Et les âmes, aux parvis, de ceux qui sont absents.<o:p></o:p>Ces doigts qui vont chercher lamitié dautres mains
Pour que lon nait plus peur, ...du noir, des lendemains
Sont autant de maillons qui saccrochent autour
Dun Livre grand ouvert sur le seul mot dAmour.<o:p></o:p>Brodées ou écrites aux couleurs bleues du sang,
Gravées sur notre corps sont deux lettres dargent.
Cachée sous des gants blancs porteurs de lumière,
Je te sens si présent, si près de moi mon Frère.<o:p></o:p>Ici, au creux des mains, sont nos lignes de vie,
Lavenir dun Autre, soudées contre ma peau
Tracées au compas, dessinées, agrandies
Nettes comme des pas en cercle près de leau.<o:p></o:p>Cest un souffle de vent au dessus du désert.
Il glisse quelques mots au cur de chaque pierre,
Des mots silencieux de songes inconnus
Qui éveillent en nous un goût de déjà vu...<o:p></o:p>Les visages froissés au fond des curs présents
Les mots et les sourires, les larmes et les doutes
Tous ces êtres en un seul comme au bord de la route
Les yeux clos des parvis de ceux qui sont absents.<o:p></o:p>La main de lamitié tendue vers dautres mains
Pour que lon nai plus peur du noir des lendemains
Les maillons un à un savancent tout autour
Dun livre grand ouvert sur le seul mot dAmour<o:p></o:p>Gravées sur notre corps en costume dargent
Brodées, ou seulement fixées dans notre sang
Blotties au creux des mains sont les lignes de vie,
Dessinées au compas, calligraphiées, polies,<o:p></o:p>Je sais que tu es là puisque tu es mon Frère
Travesti de tes gants aux couleurs de lumière
Mon âme tappartient. Alors, je nai plus peur,
Tu me tiens par le cur, puisque tu es mon Frère<o:p></o:p>
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